Carl Allen posant devant un mur avec des graffitis

Photo by: Paolo Soriani





Depuis qu'il a rejoint le groupe de Freddie Hubbard en 1982, le batteur Carl Allen a acquis une réputation de producteur et de chef d'orchestre respecté. En témoigne une longue carrière passée à jouer et enregistrer aux côtés de légendes comme Christian McBride, Herbie Hancock, Bobby Hutcherson et Branford Marsalis. En plus de collaborer avec certains des plus grands noms du jazz, Carl a consacré une grande partie de son temps à l'éducation, en tant que directeur artistique des études de jazz à Juilliard et, plus récemment, en tant que titulaire de la chaire d'études de jazz à l'université du Missouri-Kansas City. Carl nous a récemment parlé de son approche de la collaboration créative, et de la façon dont il partage les leçons intemporelles qu'il a apprises avec la prochaine génération de musiciens de jazz.

Comment avez-vous commencé à jouer de la batterie ?


Je suis le cadet d'une famille de cinq enfants, et j'ai été élevé par ma mère à Milwaukee. Elle était chanteuse de gospel, alors j'ai grandi en jouant de la musique à l'église. À l'époque, cela me semblait normal, car il y avait tant d'enfants talentueux dans le voisinage - c'était une chose à faire comme une autre. À un moment donné, toute ma fratrie - sauf ma sœur - ont chanté ou joué d'un instrument. Mon frère aîné avait pris quelques leçons de batterie et les baguettes traînaient, alors je les ai prises et j'ai commencé à taper sur des objets. J'en suis arrivé à un point où il était plus facile et moins cher pour ma mère de m'acheter un tambour usagé pour jouer au lieu de détruire ses pots.

Quelles ont été vos premières opportunités professionnelles en tant que musicien ? Quel impact cela a-t-il eu sur votre apprentissage ?


Mon premier concert rémunéré a été de jouer des timbales dans le programme de Noël d'une église, à l'âge de 13 ans. J'étais excité parce que j'ai été payé 25 dollars, et c'était juste avant Noël. J'étais heureux d'avoir pu m'offrir quelques cadeaux. Mon premier concert professionnel de jazz a eu lieu à 16 ans, dans un club de jazz local. J'étais dans l'orchestre de la maison et je jouais derrière les légendes du saxophone Sonny Stitt et Red Holloway. J'étais mort de peur, mais j'ai réussi à m'en sortir. Après ce concert, durant lequel j'étais dépassé musicalement, j'ai su que c'était quelque chose que je voulais faire. On peut dire que j'avais été baptisé par le feu.

Carl Allen posing with a symbol




Quels sont les défis que vous avez dû relever et surmonter dans votre carrière ?


Il y a eu de nombreux défis. L'un d'eux est de comprendre à quel point la musique est, ou peut être, transparente. L'honnêteté est très importante lorsqu'on joue de la musique. J'ai appris qu'il faut "s'approprier la musique" quand on joue. En tant que musicien, mon travail consiste à faire voyager les auditeurs, et je ne peux le faire que si je me l'approprie.

Qui et quelles sont vos plus grandes influences sur votre façon d'aborder la musique ?


Il y en a tant. Pour les batteurs, je citerais Art Blakey, Billy Higgins, Elvin Jones, Tony Williams, Roy Haynes, Mel Lewis, Calvin Rodgers, Harvey Mason, Billy Cobham... et tant d'autres. Pour les non-batteurs, je dirais Freddie Hubbard, John Coltrane, Sonny Rollins, Lee Morgan, Benny Golson, Thelonious Monk... et bien d'autres ! J'essaie d'être ouvert et de trouver des idées partout. Le phrasé de ces musiciens , la façon dont ils créent un mouvement et donnent un sens, ainsi que le dialogue musical qu'ils injectent, continue de m'inspirer.

"En tant que batteur, mon objectif est de faire en sorte que la musique soit agréable. Pour moi, c'est plus excitant et plus important que de prendre des solos. J'aime me considérer comme un ouvrier; pour moi, il s'agit de servir la musique."

Carl Allen
Carl Allen Profile

Comment vos idées musicales évoluent-elles ? Que se passe-t-il entre l'idée initiale d'un projet et le produit fini ?


Le processus est varié. Parfois, l'idée vient de quelque chose que quelqu'un d'autre vient de jouer. Lorsque je compose, l'idée peut provenir d'un accord, d'un rythme ou d'une mélodie. Il se peut aussi que je regarde une œuvre d'art ou que je lise quelque chose, et que cela me donne une idée. Le fait d'être ouvert est très important pour moi. Ce processus a évolué au fil des ans, car je suis beaucoup plus ouvert aux nouveautés que lorsque j'étais plus jeune.

Si je n'ai pas de délai à respecter, je mets le morceau de côté pendant un certain temps et j'y reviens plus tard. Ce faisant, il m'est arrivé d'ajouter ou de modifier différentes sections de la chanson. J'essaie de penser à la manière dont cela va s'intégrer dans le projet global. Après avoir produit tant de disques, il est difficile de ne pas penser de cette façon.

Carl Allen posing

Photo by: Paolo Soriani



Vous avez joué et enregistré avec tant de grands musiciens, dont Christian McBride, Freddie Hubbard, Benny Green, Donald Byrd et bien d'autres. Comment vous adaptez-vous lorsque vous collaborez avec différents musiciens ?


J'ai appris que tout le monde est différent. Au fond, j'essaie simplement de faire en sorte que la musique soit agréable et qu'elle sonne mieux. J'essaie d'aller à la rencontre des autres musiciens, de les retouver là où ils se trouvent conceptuellement. Je veux dire que je ne joue pas de la même façon avec tous les trompettistes - c'est vrai avec n'importe quel musicien. Mon approche du jeu avec Freddie était différente de celle du jeu avec Dizzy ou Woody Shaw ou Donald Byrd ou Terence Blanchard. Ils sont tous très différents.

Il y a plusieurs années, j'ai fait l'erreur de changer l'intensité d'une chanteuse qui jouait avec George Coleman. Dès qu'elle commençait à chanter, je baissais le volume et l'intensité. Elle s'est tournée vers moi et m'a dit : "Oh non, ne joue pas derrière moi comme si j'étais une chanteuse à la noix. Donne-moi ce que tu leur as donné". Elle faisait référence à l'intensité avec laquelle je jouais avec le reste du groupe. C'était aussi une grande leçon pour moi.

Carl Allen in New York City

La technologie moderne permet aux musiciens de travailler ensemble à distance sur des enregistrements en studio. Comment abordez-vous ce type de collaboration ?


J'aime la technologie et ce qu'elle nous a apporté. J'ai fait quelques sessions d'enregistrement à distance, mais il y a toujours ce sentiment de prudence. Le processus à distance est très différent pour moi, surtout quand je joue du jazz, car il s'agit davantage d'être dans le moment présent. Cela m'a demandé de grands efforts pour m'adaptater, mais j'aime néanmoins cela. L'un des grands avantages des produits Zoom est que je peux les emporter avec moi lorsque je vais aux répétitions ou en voyage. J'aime capturer des sons ou des idées, souvent dans ma chambre d'hôtel.

Outre vos activités de musicien, vous vous êtes également engagé dans l'enseignement de la musique, notamment en tant que directeur des études de jazz à Juilliard. Quelle importance accordez-vous au partage de vos connaissances, et comment vous engagez-vous auprès de la prochaine génération ?


L'éducation est très importante pour moi. Je dis toujours que je ne serais pas là où j'en suis aujourd'hui sans les nombreux musiciens qui m'ont aidé sur scène, et en dehors. Nous avons l'obligation de partager ce qui nous a été donné, car la musique appartient à tout le monde. Je crois qu'il faut payer sa cotisation, et nous avons tous besoin d'une porte d'entrée pour réussir.

J'ai récemment accepté le poste de titulaire de la chaire d'études de jazz à l'Université du Missouri-Kansas City (UMKC). Je suis très enthousiaste au sujet de ce nouveau chapitre de mon parcours, car il me donne une nouvelle occasion de m'investir dans la vie de tant de jeunes artistes. Je suis pleinement conscient que beaucoup de jeunes gens de cette nouvelle génération, n'auront qu'entendu parler des légendes du jazz avec lesquelles j'ai eu la chance de jouer et d'enregistrer. Je crois qu'ils ont besoin de mieux connaître ce que ces artistes nous ont appris. C'est un privilège pour moi de pouvoir leur enseigner ces leçons précieuses, qui changent parfois la vie.

L'une des plus grandes leçons que j'ai apprises est l'importance de respecter la musique, d'ou ellle vient, et tout ce qui l'accompagne.

En parlant de la prochaine génération, votre fils est un cinéaste. La créativité fait-elle partie de votre famille ? Quels sont les encouragements et les leçons tirés de votre expérience dans l'industrie du divertissement que vous avez pu partager avec votre fils ?


Oui, mon fils est cinéaste, monteur et créateur de contenus. Quand il était plus jeune, il a joué de la batterie pendant un certain temps, mais je pense qu'il l'a fait parce que je jouais. Il a ensuite trouvé sa vocation dans le cinéma. Je pense que la créativité est présente dans ma famille. Comme je l'ai dit précédemment, la plupart des membres de ma famille étaient musiciens.

J'ai souvent emmené mon fils au studio avec moi pour qu'il puisse observer le processus, et je l'ai également fait venir sur le plateau lorsque j'ai travaillé - en tant qu'acteur ou batteur - sur des films. Bien sûr, il a assisté à de nombreuses répétitions et représentations. Je lui ai expliqué ce sur quoi nous travaillions et je lui ai parfois demandé d'enregistrer des vidéos pendant la session. Il a appris à respecter l'espace des musiciens lorsqu'il filmait et à ne pas être une distraction. C'était énorme pour lui, car il a pu constater que, même si la musique et le film fonctionnent ensemble, ils doivent également être distincts.

Sa principale passion est le montage, qui peut être très fastidieux. C'est un monde que je ne comprends pas, mais je lui pose constamment des questions pour l'aider à voir les choses sous différents angles. Il sait que je suis son plus grand fan.

Carl Allen posing with a drum head

Quelle est la configuration de votre home studio et votre manière d'y travailler ? Comment a-t-il évolué au cours de votre carrière ?


Mon installation à la maison est assez basique et dépend de ce sur quoi je travaille. Au quotidien, j'utilise les enregistreurs L-8, H6 ou H8 avec la caméra Q2n-4K. J'ai fait beaucoup de masterclasses et de cours en ligne, donc ces appareils me sont très utiles. Parfois, j'enregistre des pistes pour les sessions d'autres personnes, j'utilise alors une L-20, mais en gros, ce que j'ai mentionné fonctionne pour moi. À la maison, c'est généralement moi qui enregistre. Au fil des années, c'est devenu un peu plus simple grâce à la technologie dont nous disposons. Le fait que je puisse transporter les enregistreurs et les caméras dans un sac à dos a changé la donne pour moi.

Comment trouvez-vous le prochain contrat ? Laissez-vous le travail venir à vous, ou cherchez-vous activement des projets qui vous intéressent ?


C'est un peu des deux. Il y a certaines personnes qui m'appellent régulièrement pour leurs concerts ou leurs enregistrements, mais je suis toujours attentif à élargir mon réseau de personnes avec qui jouer. À ce stade de ma carrière, je suis devenu plus sélectif, car je veux jouer la musique qui me passionne avec des gens que je respecte. Pour moi, c'est trop personnel pour être un simple concert. Je veux que chaque concert signifie quelque chose pour moi.

J'ai quelques projets personnels sur lesquels je travaille, mais je pense qu'il est important d'avoir une vision de ce que l'on veut faire de sa vie et de sa carrière. J'ai appris une leçon précieuse au fil des ans : Je ne suis pas obligé de dire oui à tous ceux qui me disent oui. Tous les concerts ne sont pas faits pour moi et vice-versa.

carl allen actively playing drums
carl allen actively playing drums
Carl Allen with drumsticks

Quel genre de conseil donneriez-vous à quelqu'un qui veut faire carrière dans la musique ?


Vous avez intérêt à l'aimer et à être prêt à accepter chaque étape du processus. Consacrez du temps à votre métier et apprenez à jouer de votre instrument du mieux que vous pouvez. Apprenez à lire la musique. Apprenez-en le plus possible sur le genre dans lequel vous évoluez. S'il est important d'être un bon musicien, il est tout aussi important d'être quelqu'un d'agréable. Une grande partie de ce métier consiste à traiter avec d'autres personnes. L'élément social est important. Arrivez à l'heure !

Sachez qu'il y a un moment et un lieu pour vous, si vous faites tout ce qu'il faut. Parfois ce moment n'est pas quand vous le voulez. Soyez patient. Certaines choses ne s'expliquent pas. En tant que musicien, vous devez avoir la peau dure. Parfois, vous entendrez des choses sur vous que vous n'aimerez pas. Ne laissez pas cela vous définir. Sachez qui vous êtes et ce que vous essayez d'accomplir.

Aimeriez-vous partager quelque chose à propos de projets récents ou à venir qui vous enthousiasment ?


Avant la pandémie, j'avais des dates de tournée avec le Art Blakey Centennial Project de Carl Allen. Certaines de ces dates ont été reprogrammées pour fin 2021 et 2022. J'ai un autre projet appelé Carl Allen's Full Circle. Ce groupe a pour but de présenter des nouveaux talents de la scène, en présentant beaucoup de leurs propres compositions. Je ne suis qu'un vecteur d'accès pour eux. Art Blakey avait l'habitude de dire qu'il aimait garder les jeunes musiciens autour de lui car cela l'aidait à rester jeune. Cela me faisait rire, mais maintenant je comprends.

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Enfin, comment Zoom vous aide-t-il à atteindre vos objectifs ?


Zoom a grandement facilité ma créativité, en me permettant de capter facilement du son et de la vidéo à la volée. La portabilité des produits est parfaite pour moi, car je passe beaucoup de temps sur la route. Mes amis musiciens me taquinent lorsque nous sommes sur la route parce que, pendant la journée, je ne quitte pas ma chambre d'hôtel, sauf si je dois le faire - je suis généralement en train de créer des choses. Zoom est pour les créateurs et c'est ce que je fais !


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